Lettre à un ami poète
03 févr. 2005
Par Frantz Benjamin
Ami poète
sur une note légère
le jour a ouvert grandement ses barreaux
pour abriter ces mots
Ma plume chauve jouant au battant
s'appuie sur la porte grise du matin
qui tarde
qui peine à se réveiller
Trois soleils se sont tus une nuit de février
alors que tes mots crevaient les os
jusqu'aux arêtes
dans la laideur de nos cents pas
Trois soleils se sont tus
je cherche encore
au milieu des notes barbares
ton ombre adultère
Par ces temps d'épine et de poignard
où mon ciel gît
sous la minuscule fenêtre
d'une ardoise brisée
perché sur la butte de mon pays
autrefois Charrier
autrefois Vertières
j'empile les mots en dalles
Battant les ténèbres
un matin de Mars
une voix s'élève
Mon pays ne veut pas mourir
Mon pays ne peut pas mourir
Les portes de Port-au-Prince
sont clouées aux balles
je devine à peine
les sanglots étouffés
de ma patrie
Les rues de Port-au-Prince
grimpent une à une à mes entrailles
assassinant mon enfance
mon quartier
mes amis
Bel Air
les poings serrés
s'endort sous la jupe des putains
macérées au suif et au vinaigre
Promeneuse aux gris-gris
dans la nuit faucheuse
quel est donc ce vent
qui brûle la symétrie de l'homme
au destin d'argile?
Quel est donc ce vent
qui trempe sa soif
dans mon sang d'octobre?
Ma ruelle de Yes sir
s'étale de Pont-Sondé à Bois-de-chêne
Ma ruelle de Yes sir
alambiquée aux pépites des promesses
compte ses heures
au rythme des transferts de Broadway
Ami poète de regretté mémoire
je verse trois gouttes hérétiques
sur ta ville engloutie dans le sang
Ta ville que voici
Mon pays que voilà
gisant entre la Seine et le Mississippi
Vous qui éteignez votre regard
sous ma fenêtre de migrant
Vous qui buvez mon soleil
par moins trente sous zéro
Dites à ma fille
Dites à ma mère
Que j'avais une ville
Que j'avais un pays
.